Antoni Astugalpi

Médiateur de mots, sapeur du son, suceur de sens et dresseur d'idées (en gros)

Un secret [2004] de Philippe Grimbert

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Certes, on pouvait présager du pire dès les chapitres où l’étoile jaune est convoquée : encore une énième histoire de Juifs pris dans la Seconde Guerre Mondiale ! On sort son petit oignon de service pour être sûr de pleurer sous peine d’être traité de tous les noms depuis le mirador de la bienpensance et on avance sur le rail de l’ennui en attendant le moment plein de moraline où il faut s’exécuter. Et pourtant c’est bien fait.

Philippe Grimbert nous raconte l’histoire de sa famille, de sa jeunesse. Une histoire triste de femme éclipsée par une belle-sœur bien plus belle qu’elle, d’un mari éperdument épris de cette dernière, à son corps défendant. D’un couple aussi illégitime qu’évident qui se forme et d’une femme qui finit par se suicider faute d’avoir une place encore dans ce triste vaudeville. Une histoire de deux petits enfants, l’un Simon, fort, athlétique qui eût dû être l’enfant de Tania, la belle-sœur, quand lui-même, narrateur chétif et introverti eût dû être l’enfant de Hannah l’épouse défunte. Une histoire de spermatozoïdes volant qui se trompent de cible, presque. Mais si Tania sait faire oublier Hannah, lui le petit né de ce deuxième mariage, n’est pas capable de faire oublier Simon, bien qu’on n’évoquât plus jamais les noms de l’un et de l’autre. Une histoire de gens qui ne sont donc pas tout à fait à leur place, ou, s’ils le sont, comme Maxime dans les bras de Tania, doivent l’être avec embarras.

Rien que cela suffirait donc à coudre une histoire de famille étrange, entourée de problèmes typiques d’immigrés qui essayent tant bien que mal de se faire à leur nouvelle frontière. Or, il s’avère que la famille de Gimbert / Grinberg est juive. Qu’elle est prise dans un temps où cela ne peut pas être indifférent. La grande Histoire rattrape alors la petite qui n’en demandait pas tant et on ne va pas reprocher à l’auteur d’être qui il est. Se rajoutent alors aux histoires de famille, la lâcheté humaine, la servilité des policiers, la déroute de la morale quand l’Armée ne défend plus le pays des envahisseurs, qui enchâsse le petit drame dans le grand, l’inonde et lui apporte un faux dénouement.

Racontée intelligemment, sans voyeurisme et sans volonté outrancière de nous tirer des larmes, celles-ci coulent d’elles-mêmes. On est tous des gens plein d’empathie quand on ne nous force pas. On l’est d’autant plus quand on traverse, toute proportion gardée, des événements pas très drôles de ségrégation, d’embrigadement, de mensonges et de propagandes ou de répression où on voit que les temps n’ont pas changé et que les mêmes scolopendres attendent toujours sous les mêmes cailloux leur moment de mettre à contribution leur docilité malsaine et leur médiocrité obtuse. Et que, oncle, on peut mettre des visages d’enfants dont la perte déchirerait notre vie.

Je note aussi que ce roman, cette autobiographie familiale romancée, a gagné le prix Goncourt des Lycéens, et que ce prix décerné par des vrais gens, parait être un gage de qualité. C’est le troisième que j’entends en texte audio, après Parle-leur de batailles, de rois et d’éléphants et Le Quatrième Mur, et je n’ai pas été déçu jusque-là.1

En revanche, le film avec Patrick Bruel, non, désolé, j’ai piscine pour les cinquante prochaines années et je vous jure que j’ai pleuré d’avance !

Bande-son

Dominique A., « Pères »

Note

  1. J’ai eu Charlotte de David Foenkinos entre les mains, qui m’a paru d’un procédé littéraire très artificiel et faible, mais ne l’ai pas lu : on va dire qu’il ne compte pas. ↩︎

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