Antoni Astugalpi

Médiateur de mots, sapeur du son, suceur de sens et dresseur d'idées (en gros)

La justice n’a pas tuer Omar, Zem n’a pas tenter d’accuser la France

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Pour son second film derrière les caméras, Roschdy Zem1 s’attaquait à « l’affaire » Omar Raddad, ce jardinier condamné en 1993 pour l’homicide de Ghislaine Marchal, son employeuse. Affaire judiciaire encore présente à l’esprit (et bientôt à nouveau dans l’actualité), le projet s’avérait parsemé d’embuches, quoi qu’il fasse.2 Heureusement, Zem, qu’on a vu par deux fois dans la peau d’un policier en 20103, ne devient pas un provocateur manichéen dès qu’il prend la casquette de réalisateur. En se basant sur la lecture attentive du dossier, puis Pourquoi moi ? d’Omar Raddad lui-même4 et La construction d’un coupable de Jean-Marie Rouart paru en 1994 (choix qui ne laisse planer aucun doute sur le fait que le film va défendre la thèse de l’erreur judiciaire), il livre un film sachant s’arrêter à des limites intelligemment fixées. Même si, évidemment, humaniser une affaire tend toujours un peu à créer un phénomène d’empathie qui en oriente la vision.

Un film, pas une contre-enquête

Première de ces limites volontaires : ne pas avoir la prétention de montrer la vérité. Alors que le projet était tout d’abord axé sur l’homme accusé plus que sur l’affaire dans laquelle il se trouvait pris, si en étudiant un peu les archives judiciaires et y trouvant de nombreuses zones d’ombres, il a très vite pensé qu’il lui fallait couvrir toute l’affaire, pas question pour autant pour lui de juger à la place de la justice. On suivra alors le futur académicien Jean-Marie Rouart – et une assistante dépêchée par l’éditeur (plus incrédule pour sa part) – descendu dans le Var sur la base de son intime conviction pour tenter de montrer l’incohérence des accusations ; sans désirer pour autant traquer le vrai coupable. Pas même du côté de la famille de la défunte ; Me Kiejman, avocat de cette dernière, en sort rassuré. Le film ne fait pas non plus d’Omar Raddad un individu sans aspérité : on le voit au casino jouer frénétiquement, récuser l’idée qu’il soit allé voir des filles de joie (comme tous les hommes honteux de la Terre) ou se refusant de participer à une reconstitution dans la villa du meurtre (au grand dam d’un juge surjoué par un acteur caricatural). Le doute n’en est pas moins instauré dans l’esprit du spectateur, et c’est là l’essentiel. Il reste alors au réalisateur à s’étonner d’une condamnation sur la base d’éléments pour lui si faibles : « aujourd’hui on acquitte pour défaut de preuves, pour moins que cela », nous assurait-il.

Il n’y aura pas de procès de la justice française

On chercherait aussi en vain l’envie de faire un procès à la « France », avec ce film très beau, sans pathos excessif et illuminé par l’interprétation impeccable de Sami Bouajila, campant le rôle de cet immigré enfermé dans une innocence qu’il veut faire entendre sans qu’on le croie et enfermé derrière les barrières d’une langue française qu’il ne parle pas bien malgré six ans passés en Provence. Certes, à cette occasion, la pesanteur de la machinerie judiciaire, qui dépasse l’accusé et l’écrase rapidement au point qu’il en devient pantin secondaire d’un vaudeville où – sans qu’on sache s’il est l’amant ou le cocu – il est mis au placard, est pointé du doigt. Tout comme sont déplorés ce qui est, d’après le réalisateur, l’arrogance d’un système peu enclin à revenir sur ses jugements et l’intérêt des magistrats promus au nombre de condamnations qu’ils ont obtenues (la fameuse culture du chiffre). Mais jamais dans l’outrance ; un peu par prétérition, disons. D’ailleurs, « la France est peut-être le seul pays où j’aimerais être jugé » nous confiait encore R. Zem lors de l’avant-première. Indignés insatiables et autres repentants non-repus rangez fifres, tambours, merguez et campings festifs, il n’y a rien à manger (ou sur quoi vomir) pour vous ici. La révolution, c’est la porte d’en face. Si c’est juste pour alimenter la polémique et faire un peu de buzz, bon allez, pourquoi ne pas rester prendre le thé…

Pas non plus le contre-procès d’une France raciste

Enfin, à l’encontre de ce qu’on pourrait croire après avoir vu la bande-annonce, Omar m’a tuer n’est pas un réquisitoire contre une France (prétendument) raciste. O. Raddad ayant indiqué à R. Zem ne pas avoir ressenti de xénophobie ou de mépris chez les gendarmes, on n’en a pas rajouté pour se rejouer le coup facile de la pauvre diversité opprimée5. Par contre6, la rancune est plus tenace à l’encontre de Vergès, alors avocat de la défense7. Ayant bien reniflé le « produit d’appel » et l’occasion d’une nouvelle tribune d’où il pourrait mener une autre bataille de sa croisade anti-française en défendant un maghrébin, il avait bénévolement proposé ses services pour s’arroger le droit ensuite d’instrumentaliser le procès en engageant un bras de fer personnel avec la Cour. Avec la jubilation de mener son affaire Dreyfus sous les caméras ; un peu moins au prétoire cependant. Ce n’est donc pas le colonisateur blanc, le franchouillard à l’esprit lepénisé se servant des minorités visibles (et audibles) comme de boucs émissaires tout trouvés, que cherche à stigmatiser le film. Pour Zem, il faut plus chercher du côté du clivage existant entre ceux qui savent jouer avec les subtilités du système et ceux qui restent sur le banc de touche. Omar Raddad est marocain, bronzé et musulman ; il aurait pu être blanc, sec, blond et lorrain et s’appeler Patrick Dils ; tous deux avaient la tête de l’emploi, tous deux ont (presque) eu le même sort en étant victime d’un délit de sale gueule. Plutôt qu’une justice raciste, on pourra alors éventuellement penser à une justice de classe si on croit à l’innocence de Raddad et ne se satisfait pas de l’explication de l’accumulation d’erreurs humaines (trop humaines). On verrait alors dans la division inégale du travail, la source des maux de la société (et ici de notre injustice. Dans ce schéma-là, ceux qui s’expriment pour les sans-voix, ceux qui savent parler la langue du système, sont encore du bon côté des barreaux. On peut toujours, comme les marxistes, vouloir abandonner cette division inégale des positions en luttant contre la spécialisation des tâches où les uns se spécialisent à dominer et les autres à être dominés. Voire, comme aux bonnes vieilles heures de la dictature du prolétariat, se débarrasser sans autre formes de procès (ou en les truquant) des « intellectuels » forcément réactionnaires. Si, en plus de cet exemple édifiant, on s’arrête sur les résultats de ces anthropologues du dimanche que furent les maos de la Sorbonne partis, dans les années 70, s’établir chez les bons sauvages de la Province bouseuse pour mieux les connaitre et aujourd’hui bien enfoncés dans les canapés dorés de l’establishment, on se dit que ces idéologues feraient mieux de ne toucher à aucun pote d’aucune espèce. En tout cas on est loin du discours anti-raciste pavolvien.

Un procès pour les victimes, pas pour l’idéologie

Au final de notre affaire, c’est la justice qui a fait d’Omar Raddad, le rustique jardinier endetté incapable de comprendre le charabia des mandarins, un boucher (au premier comme au deuxième degré)8. On ne sait pas si désormais Omar Raddad chasse le matin, pêche l’après-midi, pratique l’élevage le soir, et fait de la critique après le repas, en tout cas il maîtrise mieux la langue française maintenant et le Code Civil comme un expert. Certains apprennent le droit à la faculté pour y faire carrière, lui l’a appris à son corps défendant. Et attend la révision de son procès de pied ferme, parce qu’être gracié n’est pas justice lorsqu’on prétend être innocent. L’est-il ? Le film le pense et l’aidera sans doute à accélérer les procédures. Mais ce combat sera pour les individus victimes (Mme Marchal sûrement, Omar Raddad peut-être) et pour la justice, pas pour l’idéologie politique.

[Texte initialement publié dans La Catallaxine, le 23 juin 2011]

Notes

  1. Récupérant un projet que Rachid Bouchareb avait renvoyé aux calendes grecques. ↩︎
  2. D’ailleurs, n’avait-il encore rien écrit que des menaces de plaintes tombaient déjà dès que le projet fut ébruité, nous révéla-t-il lors de l’avant-première qui a eu lieu à Aix-en-Provence le 24 mai 2011. ↩︎
  3. Dans le très beau Tête de turc de Pascal Elbé et A bout portant de Fred Cavayé. ↩︎
  4. Bien sûr secondé d’une journaliste : Sylvie Lotiron. Le livre, opportunément ressorti au début du mois, avait été initialement publié en 2003. ↩︎
  5. On a même un codétenu aussi blanc que sympathique qui nous en donne des gages. ↩︎
  6. Bien que cet aspect ne soit pas très visible à l’écran du fait du jeu de Maurice Benichou à qui Zem avait demandé de ne pas faire du Vergès, ce qui le rend sympathique et débarrassé de son arrogante suffisance mal camouflée derrière des indignations théâtrales. ↩︎
  7. Après d’éphémères inconnus et avant d’être débarqué de l’affaire en 2008 par son client. ↩︎
  8. Bizarrement il lui a été interdit d’exercer la profession de jardinier qu’il aimait tant. On lui a permis d’être boucher, alors qu’on sous-entendait que, puisqu’il tuait le mouton lors de l’Aïd (ce qui n’était pas le cas, au passage) il était faux qu’il ne puisse pas être violent comme il le prétend. Le jour où les végétariens prendront le pouvoir, nous autres mangeurs de viande devrons-nous porter des bracelets judiciaires ? Nous fera-t-on lire un Tistou les pouces rouges sanguinaire pour « prévenir » nos potentielles pulsions criminelles ? Tu veux du raccourci idiot et du paradoxe ? Sers-toi… ↩︎

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