Antoni Astugalpi

Médiateur de mots, sapeur du son, suceur de sens et dresseur d'idées (en gros)

Pour Jean-François Revel [2006] de Pierre Boncenne

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Durant toute ma lecture, je n’ai jamais su vraiment ce que j’avais entre les mains. Un livre, certes. Mais quoi ? Le titre nous donne un indice : un cri d’amour.

C’est bien, on ne dit pas assez à ceux qu’on aime qu’on les aime, mais l’exercice est périlleux du vivant de l’auteur.1 S’il n’était pas question que Revel supervise ou amende la rédaction d’un ouvrage le concernant, puisque – et on ne peut qu’être d’accord avec eux – « la notion de biographie autorisée [a]paraissait à l’un comme à l’autre aussi stupide que risible » [p. 15], qu’allait bien pouvoir écrire Pierre Boncenne en sachant que Revel le lirait, qui ne confine pas à l’éloge ?

Et surtout qui pouvait être le public de ce livre ?

1) Ceux qui apprécient Revel ?
Ils sont des esprits libres qui répugnent à ce qu’on lui dresse une statue (et s’ils partagent son agnosticisme : à tout homme, en général, fût-il Roi, Pape, Héros, Rebelle, Penseur, Etc.). Ils préfèrent que quelqu’un, tout en reconnaissant sa dette intellectuelle envers lui, continue son combat pour la vérité, contre l’idéologie et les mascarades, lui demandant une préface, un avis, plutôt que de s’attarder en félicitations, quand il reste tant de culs à botter et une œuvre collective de bienpensance dangereuse à dénoncer ! Boncenne aurait pu aussi produire, avec son livre, une sorte de supplément à l’œuvre de Revel. Or mises à jour et corrections doivent être faites dans des rééditions revues et augmentées, pas dans un livre à part. Il aurait pu aussi compléter des éléments plus biographiques, neuf ans après la parution du Voleur dans la maison vide. Mais ou c’est Revel qui aurait dû, entre 1997 et 2006, écrire lui-même la suite de son autobiographie, ou alors ce tome II, biographique, aurait formé avec la première une étrange chimère… Il aurait pu apporter des éléments nouveaux que Revel n’aurait pas osé publier en 1997, mais alors, là encore, il aurait fallu attendre la mort de l’auteur, puisque dès lors qu’il ne l’avait pas fait de son vivant, c’était probablement des raisons qui n’auraient sûrement pas changées entre 2004 et 2006…2 En vérité, j’attendais un peu ça en lisant les premiers chapitres, les détails croustillants que la pudeur de l’auteur lui aura fait taire, et j’ai été heureusement déçu, Boncenne n’ayant pas flatté mes bas instincts de voyeur puisqu’il n’est que très peu question de la vie privée de Revel.

2) Ceux qui ne pouvaient pas encadrer Revel ?
Non, assurément le livre n’est pas un réquisitoire destiné à les faire changer d’avis ; Boncenne sait très bien combien l’idéologie est forte, et comment, mélangée à la vanité blessée, elle produit un entêtement d’acier qu’il serait vain d’essayer d’ébranler. Au-delà d’un vain dialogue, il n’y a qu’à faire comme Diogène face aux citoyens de Sinope : les condamner à vivre avec le poids de leur propre bêtise ou dans les conséquences, un jour funeste, de leur aveuglement.

3) Ceux qui ne le connaissent pas ?
Peut-être. Mais là encore, il vaut mieux reprendre à son compte l’ardeur démystificatrice de Revel et expliquer aux plus jeunes qu’après s’être vautrés dans l’idolâtrie de Heidegger ou de Sartre, l’avant-garde éclairée des philosophes est maintenant prosternée devant Michel Foucault, que loin d’être d’une étoffe nouvelle, il n’y a là rien d’autre que le tissu passé à la machine à oublier, d’un vieux costume de clown. Leur apprendre à réagir face aux platitudes abyssales3 des Michel Serres, Bernard Henry-Lévy, Jacques Attali ou autre Alain Minc, comme il se doit : en riant. Leur faire comprendre que là où on se faisait traiter de fasciste au XXe siècle, la même stupidité binaire a un rien étoffé l’étiquetage du Mal en rajoutant ‘raciste’, ‘homophobe’, ‘antisémite’ ou ‘sexiste’ à sa panoplie, dès lors que vous avez osé critiquer un noir4, un homosexuel5, un juif ou un musulman6 ou encore une femme – et condamnation compte double ou triple si l’individu possède deux de ces atouts dans sa main –, alors que vous l’aviez traité pourtant de manière égalitaire, comme un bon vieil individu universel, celui qu’ont posé abstraitement ces fâcheux réactionnaires de 1789… Enfin, le livre de Boncenne, n’est pas non plus un index commenté de l’œuvre de Revel, ni une anthologie, même s’il s’en rapproche parfois, notamment lorsque l’auteur se lance dans un florilège des meilleures accroches des éditoriaux du regretté défunt .

Alors, au final, objet non-identifié au lecteur non-identifiable, sa lecture ne m’aura cependant pas été inutile. Il m’aura donné envie de lire à nouveau Revel et m’aura (ré)ouvert les yeux contre cet excès (si commun qu’il est d’autant plus facile), de critiquer trop fortement les démocraties libérales par réaction à certaines postures progressistes néo-colonalistes condescendantes. J’ai ainsi pris à nouveau conscience que les démocraties libérales n’ont pas à être parfaites et immaculées pour être défendues face à des régimes totalitaires, comme si, pour avoir massacré par jeu un petit animal lorsque vous étiez petit, vous n’aviez plus le droit de juger des tortionnaires, voire que ceux-ci pouvaient faire votre procès pendant que vous baissez les yeux et acceptez votre condamnation pour génocide animalier… Ainsi, si on peut critiquer la loi de surveillance d’Internet de Manuel Valls, il ne faut cependant pas la mettre sur un pied d’égalité avec le contrôle généralisé du régime chinois, par exemple, sombrant soi-même dans le même ridicule qu’un Foucault ou qu’un Begbeider comparant nos régimes ‘occidentaux’ avec des totalitarismes.

Alors rien que pour ces deux choses, merci, M. Boncenne.

Notes

  1. Jean-François Revel est mort avant la publication, mais il était bien vivant lorsque le projet a été lancé. ↩︎
  2. A moins que certaines personnes concernées par des révélations soient décédées entre temps, mais là encore c’eût été à Revel de mettre à jour son autobiographie. ↩︎
  3. Ce n’est pas un oxymore, voyons, c’est de la dialectique ! ↩︎
  4. Un Black, pardon ! ↩︎
  5. Un gay, oups ! ↩︎
  6. Un Jude ? Ah, non, là ça marche en français, va savoir pourquoi… si ‘homosexuel’ fait un peu cru, clinique, pourquoi ne faut-il pas dire ‘noir’, comme si l’être était infamant, comme on dirait une “travailleuse du sexe” et non pas “pute”… noir, blanc, beurre c’est objectif, c’est une propriété physique génétiquement transmissible, mais ce n’est pas sale… ↩︎

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