Antoni Astugalpi

Médiateur de mots, sapeur du son, suceur de sens et dresseur d'idées (en gros)

Le poids du papillon [2011] d’Erri de Luca

Le

dans ,

Je ne sais pas trop si je suis en cours d’écoute ou si j’ai abandonné… Il y a un roi des chamois dont je n’ai que faire et un chasseur dont je me fiche, ce n’est pas stylistiquement intéressant et en fait, je me demande à quoi bon ce texte que je ne lirais pas même à un enfant. Pourquoi écrire ça ? Pourquoi publier ça ? Pourquoi écouter ça ? Pour savoir si le chasseur solitaire et blessé par la vie1 finira par coucher avec la journaliste ? Je m’en fous, la sextape ou rien. Si Erri de Luca va nous raconter une histoire d’amour platonique ? J’ai déjà vu un film turc2 qui commençait avec une longue séquence de cheval blanc qui courait dans la plaine et qu’on abattait à coup de fusil. Une jeune femme cherchait son copain dans les montagnes, qui avait participé à la révolution, je ne sais plus laquelle, il était marxiste ou trotskiste, pas kémaliste, enfin je ne sais plus trop. Elle n’avait plus de nouvelles. Un jeune homme rencontré à Ankara ou Istanbul l’accompagnait dans ses recherches, tombé éperdument amoureux d’une femme qui en cherchait un autre. Ce triangle amoureux imparfait, puisque l’un des trois était absent et qu’imaginer que le copain de la fille tomberait amoureux du gars n’était pas encore un scénario crédible et imaginable pour une histoire se déroulant au début du XXe siècle3. C’était lent et beau.

Derrière nous (j’ai oublié avec qui j’étais dans cette toute petite salle d’un cinéma du centre-ville d’A*-en-P*), un couple chuchotait des niaiseries, qui s’ennuyait et rigolait de ne pas être entré dans ce rythme anti-hollywoodien, pas fort, mais on était juste devant et nous étions dix au plus dans la salle. Pendant la séance, pour ne pas le gâcher j’avais fait un geste de la main en forme de bec de canard, pour qu’ils se taisent, et puis à la fin du film j’avais engueulé un homme assez âgé – disons la cinquantaine – qui était avec une sexagénaire, voire plus, qui s’étranglèrent devant mon toupet :

— D’habitude, je râle quand les gens parlent au cinéma, mais là, c’est à un niveau que je n’ai jamais connu — dit le monsieur, d’un air digne, énervé et incrédule à la fois.
Et c’est alors que je compris que ce n’était pas eux sinon le couple juste derrière, mais que, m’étant imaginé que le monsieur avait dû expliquer ce qui se passait à la vieille femme, je m’étais mis en tête et persuadé que c’était eux les troubleurs de silence convenu en un tel recueillement, devant la quête de cette amoureuse partie à la recherche de son aventurier politique. J’avais eu honte, je m’étais excusé, j’avais croisé l’homme à nouveau à d’autres séances et avais essayé de me racheter mais l’homme avait été blessé.

Enfin, voilà, ça c’était une belle histoire, au cinéma, platonique, et je m’en veux d’avoir oublié le nom de ce film, un nom avec ‘chevaux’, je crois… mais ce truc d’Erri de Luca, c’est dire si je m’en tape.

Je ne sais rien de ce de Luca, d’ailleurs. Je me demande si ce n’était pas ce tueur d’extrême-gauche4 que toute l’intellectualité parisienne avait défendu becs et ongles, là où elle aurait craché sévèrement si le même gars si, vingt ans plus tôt, avait été fasciste, et tous ces cons ignorant que le fascisme est une doctrine de gôôôôôôche5 comme ils aiment se gausser avec le slip un rien mouillé dès qu’ils prononcent le mot. Bref, j’imagine que cet auteur est un ancien révolutionnaire, un héros qui a la carte, un à qui on peut tout prescrire, et qui, profitant de son statut, peut se permettre n’importe quelle nullité sachant qu’il sera glorifié, comme les vieux chiliens qui ont échappé au massacre qu’eux-mêmes souhaitaient pour leurs adversaires, comme pour les juifs victimes éternelles et absolues qui n’ont même pas besoin d’avoir un papounet dans le Système pour être tous des génies (ça passe dans le sang), comme les anti-Trump, comme les chavistes6, comme Aung San Suu Kyi le Prix Nobel de la Paix qui a encore le droit de tuer quelques millions de musulmans7, comme tous les perdants gentils qui ont gagné le droit de se venger du monde en nous infligeant de la merde culturelle et de nous obliger moralement à la manger. … Ah non, j’ai confondu avec Cesare Battisti, bon, du coup, si ça se trouve j’ai été de mauvais foi, peut-être que ce de Luca est très bien. Tant pis.

Où en étais-je ? Peut-être qu’à l’a fin du Poids du papillon, le Roi des Chamois se venge du Chasseur, les antispécistes crient de plaisir, Hollywood demande si on peut rajouter des rayons laser et en faire une adaptation talmudo-talionique avec plein de sang pour continuer nous enseigner les vertus de la vengeance solitaire et la nécessité de la violence sioniste ; peut-être que le chasseur et la journaliste en couple adoptent le chamois : les antispécistes trouvent ça génial, les chrétiens sont contents – le pardon ah ! le pardon – c’est quand même plus beau que la vengeance et la poursuite ad lib. de la haine dans la vendetta la plus dégueulasse et agonistique ; peut-être que le chamois tue le chasseur et que la journaliste pleure ; peut-être que le chamois et la journaliste… non en fait, je m’en fous toujours. Ça doit sûrement être très beau, le papillon de de Luca copine avec le colibri de Pierre Rabhi et le tirage au sort d’Etienne Chouard, ils sont si gentils. Moi, tel le papillon8, telle une bulle prête à éclater d’ennui, tellement je m’en foutais que j’ai pris mon envol et suis allé butiner un autre texte.

J’ai officiellement abandonné, donc.

PS. Mustang ! Le film : Mustang !

Ah non. Je l’ai vu aussi celui-là mais ce n’est pas le même. Celui-ci disait qu’il ne faut pas enfermer les filles dans les maisons et qu’il faut les laisser vivre. Je n’ai pas de fille, mais si jamais ça arrive, j’y penserai.

Notes

  1. Un rôle pour Clint Eastwood, qui ne sait jouer que ça, il lui suffit de ne pas jouer, en fait, de poser son regard un monotone, devant la caméra, de faire des films d’un classicisme ennuyeux et voilà, une carrière de faite. ↩︎
  2. Ou arménien ? Je ne peux même pas dire “pareil”, sinon je me fâche avec les deux communautés… ↩︎
  3. C’était peut-être en 1915, tout de même… Où je me rends compte que j’ai des lacunes intolérables sur la Turquie… Il faut que j’y aille avant la Troisième Guerre Mondiale des gentils Occidentaux contre la vilaine alliance des Russes, Turcs et Iraniens (que leurs âmes aillent au Diable, s’ils en ont une !). ↩︎
  4. Ou ultragauche ou gigagauche, je ne sais plus comment il faut dire pour être à la mode journalo-médiatique. ↩︎
  5. Le fascisme prône la même violence que Lénine, mais a le goût de la grandeur et une certaine idée des potentiels de l’Homme. ↩︎
  6. Ah non, pardon, les chavistes sont passés dans l’Axe du Mal depuis Maduro, le Vénézuela n’est pas le Vatican de feu l’altermondialisme mais un pays méchant dictatorial – se mettre à jour. ↩︎
  7. Le musulman ne vaut rien sur le marché de l’indignation, le musulman c’est le méchant terroriste, même le Palestinien, on pleurera sur eux dans un siècle quand il sera trop tard, qu’on pourra dire qu’avait-vous fait, sachant que soi-même on n’a plus rien à faire, c’est tellement plus sympa d’être résistant contre le Nazi en 1946 ↩︎
  8. Lourd, lourd, le papillon, on n’a pas dit qu’il devait être léger ! ↩︎

Photo d’entête : « Lecteur solitaire » par Lucile HM


Commentaires

Laisser un commentaire

Votre adresse e-mail ne sera pas publiée. Les champs obligatoires sont indiqués avec *