Antoni Astugalpi

Médiateur de mots, sapeur du son, suceur de sens et dresseur d'idées (en gros)

Les nazis de la grammaire et la langue fasciste

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Je viens de découvrir ce soir, via le journal Atlantico, l’existence d’un groupe informel de gens qui s’appellent eux-même les « Nazis de la grammaire ». Cela m’a fait d’autant plus rire que j’avais corrigé une faute qui m’avait heurté la rétine, en commentaire, dans le chapeau d’un article… d’Atlantico… concernant Poutine. J’étais déjà un Nazi de la grammaire de manière spontanée…

Évidemment, chacun comprenant la part humoristique de l’exagération contenue dans cette appellation1 et le second degré affiché dans la reprise de symboles du IIIème Reich, il ne peut qu’éprouver un sentiment de bienveillance envers des gens qui respectent les règles en usage dans leur langue, et tolérer qu’ils fassent la police un peu systématiquement, voire avec rudesse, pour compenser le flot des illettrés, non seulement pénibles mais passablement décomplexés. Sauf que les autorités russes ont une vision très bornée de l’humour (noir) au point que « des policiers russes ont commencé à enquêter sur [ce] réseau de (…) puristes qui traquent les fautes d’orthographe et de grammaire ». On ne rigole pas avec la Seconde Guerre Mondiale, même 70 ans après, et on ne peut afficher dans le pays et sur Internet, aucun symbole des anciens alliés de 1939, devenus ennemis absolus en 19412.

D’ailleurs, puisqu’on est à Moscou, n’est-ce pas Staline qui à force de traiter de “fascistes” un peu tous ses adversaires (et surtout s’ils n’avaient rien à voir ensemble, et quand bien même ils étaient du même camp socialiste), a fini par banaliser le terme, au point qu’après des décennies de cette petite routine dans l’insulte, reprise à foison par Castro et jusqu’au regretté Chávez3, on est presque déçu de ne pas être traité de “fasciste” par un membre éclairé de la Grande Hydre Mutante du Holisme International, ce qui a valeur de reconnaissance hégélienne.

Pourtant rappelons-nous qu’il n’avait pas fallu attendre la revendication amusée de ces gens dont le mot d’ordre, avouons-le, aurait eu moins d’impact s’ils s’étaient appelés les « névrosés de la conjugaison » ou les « obsessionnels de la grammaire »4, pour savoir qu’il y avait un truc louche avec la notion-même de langue. Et ceci a donc déjà été dénoncé au moins depuis le 7 janvier 1977, lorsque Roland Barthes révéla – enfin – à la face du monde, que le « langage est fasciste ». Pam, dans sa gueule au langage !

Aussi c’est pourquoi depuis ce temps béni des années 70, nous savons que…

  • commettre des textes masturbatoires et hermétiques, c’est digne des plus hauts faits de guerre !
  • écrire des articles universitaires sur Stéphane Mallarmé, Raymond Roussel ou autres gars que personne ne lit sinon une petite aristocratie gluante s’entre-citant allègrement, c’est révolutionnaire !
  • com écrir un cochon et fèRe de fotes cé un, en fait, acte de resistence !

… et, depuis 1960, que « tout homme attaché à son pays, souhaite au fond de son cœur la suppression de la moitié de ses compatriotes. »5

Heureusement, je ne suis pas attaché à un pays en particulier sinon à une langue, et s’il m’arrive de la violenter, moi, au moins, je m’en veux…

Enfin, et si on a le droit d’être sérieux deux minutes, n’oublions jamais qu’une langue est un ordre spontané qui évolue, qui est en concurrence et en relation avec d’autres langues. S’il faut combattre toute tentative de révolution langagière qui désirerait tout changer du jour au lendemain ou qui voudrait réformer de manière trop cartésienne6 des règles ou des orthographes qui sont les fruits d’une histoire, au nom d’une logique implacable, une langue vit et les usages finissent aussi par avoir valeur de loi, alors que des mots apparaissent, etc. Il n’y a pas de langue pure, figée comme à un âge d’or à sauvegarder de la dégradation, pas plus qu’elle n’a à être totalement protégée des apports des autres.

Cela dit, … un infinitif d’un verbe du premier groupe, la terminaison c’est -er, pas -é, abrutis !!!!

Notes

  1. Outre une plus grande banalisation du terme nazi aux USA, comme l’explique ce billet de Marie-Anne Paveau. ↩︎
  2. Mais puisque les journaux vous disent qu’on a toujours été en guerre contre l’Eurasia, voyons ! ↩︎
  3. Si, si, on le regrette puisque c’est lui qui avait la clef de l’autre monde (possible), à la grande époque de l’Altermondialisme ! ↩︎
  4. Comme cet Américain qui corrige 47 000 fois la même faute sur Wikipedia… ↩︎
  5. Emile Michel Cioran, Histoire et utopie (Sur deux types de sociétés), p. 11. ↩︎
  6. Un vrai fasciste qui s’ignore, lui ? C’est pour rire ! ↩︎

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