Antoni Astugalpi

Médiateur de mots, sapeur du son, suceur de sens et dresseur d'idées (en gros)

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¡Viva Chile, mierda!

« Voilà, j’y suis… »

Sauf caprice de dernière minute, ce devrait être le tout début d’un incipit. Ce sera en tout cas ceux de ma vie chilienne puisque ces quelques mots qui me vinrent à l’esprit en descendant du bus qui m’amenait de l’aéroport Arturo Benitez à la station de métro Los Héroes, à Santiago de Chile. Une épreuve physique m’y attendait : transporter jusqu’à l’hôtel les 53 kilos emportés dans l’avion ; mais qu’importait, j’étais tout à mon plaisir de poser les pieds dans la capitale chilienne !

Il m’avait fallu avant cela supporter pendant 11 heures un emmerdeur à usage unique brésilien, aussi gras que malpoli, qui répandait ses bourrelets sur mon fauteuil et avec qui je me bagarrai silencieusement l’accoudoir commun, comme ça, parce que les gens sont cons et qu’il faut bien s’occuper. Je rêvai déjà de transformer le malotru en savon sans passer par une clinique chirurgicale, lorsqu’il eut la bonne idée d’enjamber mon siège alors que je réussissai enfin à m’endormir. Résultat : je me retrouvai à regarder un deuxième film américain débile, mais en espagnol avec sous-titres en portugais, dont, par un réflexe incorrigible, je lus l’intégralité alors que je comprenais sans problème le son et peu ce qui était écrit…

A l’aéroport de Rio de Janeiro on me pria de suivre un chemin pour la connexion sans aller aux bagages, alors qu’à Paris la charmante Tania m’avait expliqué qu’en raison de la Coupe du Monde de football à venir au Brésil, les autorités avaient changé les procédures, de sorte que je devais réembarquer mes affaires. Ayant obtenu trois réponses similaires auprès de trois personnes différentes, je n’eus d’autres choix que de faire confiance aux autochtones qui me dirent l’inverse, tout en gardant une pointe de doute quand même… la parole d’une Française vaut-elle celle de trois Brésiliens… ? C’est au moment où je commençai à m’essayer à des exercices bouddhistes devant m’aider à relativiser la probable perte de ces valises qui me permettraient de réaliser ces petites choses comme m’habiller, lire et me laver1, que je fis la connaissance de Jav*, compagnonne d’attente, de retour au pays après une expérience de deux ans mi-figue mi-raisin à Paris, notre vol pour Sao Paulo ayant été annulé à la faveur d’un autre plus tardif. C’est donc grâce à ses sourires éblouissants et ses yeux noirs couleur de péché que j’oubliai mes bagages comme un enfant laisse son jouet pour un autre, et compris par quelle magie Adam osa défier l’interdit de Dieu lui-même, avec cette légèreté coupable qui nous oblige désormais à nous laver le nombril. Malgré une très agréable discussion dans l’avion, arrosée au guaraná et éclairée par une vue splendide de Rio au petit matin, les autorités brésiliennes nous séparèrent à l’aéroport de Sao Paulo. En suivant les instructions des uns et des autres, je me retrouvai devant le tapis roulant des bagages à discuter en anglais avec un britannique qui avait dû récupérer ses valises à Rio, comme on me l’avait dit à Paris, puis après m’être entendu dire « sim » (bah oui, je maitrise le portugais, maintenant !) lorsque je demandai de nouveau à un agent de la TAM si j’avais bien fait d’écouter ses compatriotes à Rio, on retrouvait ma trace dans le hall des départs de l’aéroport, à courir, craignant de rater mon avion. Je ne sais si je me suis alors trompé de chemin ou si les Brésiliens sont tous, globalement, et sans exception aucune, des voleurs, mais voilà qu’un agent m’empêcha d’aller à l’embarquement puisque, étant sorti du transit normal pour les connexions, je devais payer une taxe d’aéroport avant de pouvoir repartir.

Délesté de 73 reals sans savoir si j’étais ruiné ou si j’avais essayé de manifester mon mécontentement pour une peccadille et dans un espagnol trop approximatif pour faire peur à l’employée de la LAN  imperturbable, sans savoir non plus si j’avais commis une erreur quelque part ou si j’étais tombé dans un traquenard (comme je suis orgueilleux et parano, personnellement je choisis l’option racket), me voilà à attendre l’avion au milieu de gens qui, enfin, parlent une langue compréhensible, sans savoir qui de mes valises ou de J* me faisait le plus peur d’avoir perdu… Embarquement, avion qui part avec une heure et demie de retard pour des raisons que baragouine le pilote sans que je sois capable de comprendre, et direction les Andes. La réponse ne viendra qu’à Santiago de Chile : la belle, qui avait pris le précédent avion à Sao Paulo, ne m’avait pas attendu, alors que, alléluia !, mes valises étaient bien fidèles au rendez-vous de nos retrouvailles. Comme quoi, un homme doit toujours plus se fier à ses valises qu’à une femme… et le bouddhisme, c’est nul de toute façon !

Je passe sur le trajet en bus entre le dernier aéroport et la ville, où j’ennuie tout le monde à prendre trois places avec mes bagages alors que certains doivent rester debout dans le couloir, et aux deux kilomètres transpirants de détour inutile sur l’Alameda à trop faire confiance à ma mémoire des plans, pour vous parler un peu des Fiestas Patrias où, une douche et des excuses plus tard, pour un retard que j’étais incapable d’annoncer – ma ligne téléphonique ayant été coupée par mon opérateur téléphonique plus vite que je ne le croyais –, deux sœurs chiliennes m’emmènent avec elles et mes valises toujours avec moi, mais sous les yeux cette fois-ci.

Première étape : une fonda très populaire. Des jeux de kermesses, des boissons que je découvre, des coimbras sur lesquelles je me déhanche et une cueca que j’essaye de danser sous les regards amusés des gens du coin, mes billets d’euros coincés dans mes chaussures pour éviter qu’on me les vole à l’auberge de jeunesse (oui, la prochaine que vous aurez des billets de 50 € en main, pensez qu’un touriste étranger les a peut-être planqué sur ses pieds pour garder son pouvoir d’achat intact !). Et déjà l’idée que faire un régime au Chili sera de la science-fiction pure, tant les empanadas, la viande, et toute la gastronomie chilienne me tentent…

Deuxième jour, après une balade sur la grande avenue qui traverse la ville, l’Alameda, dans une ambiance de couvre-feu où seuls les nuages et les chiens errants m’accompagnaient, de nouveau escorté par mes deux adorables sœurettes, me voilà dans les beaux quartiers, dans une fonda plus officielle, à me faire prendre en photo en costume de l’Armée chilienne ou dans l’ascenseur qui servit à remonter les 33 mineurs qui furent les stars de l’année 2010, à voir des danses indiennes comme celle de la « permanence de l’espèce » qui me parait bien compliquée et habillée par rapport à ce qui est nécessaire, puis à écouter un concert très émouvant de Tito Fernandez ‘El Temucano’, légende vivante de la chanson chilienne, que je connaissais un peu puisqu’il chantait déjà dans les années 70. Inti Illimani se produisait aussi, la veille, dans la fonda où j’avais été, eux aussi stars des années 70 et à qui on doit le fameux “El pueblo unido jamás será vencido”, qui fait encore le bonheur des stades de gauche et des meetings de football. Bon, c’était la fête, quoi, et tout le peuple se réunissait pour les 202 ans de l’indépendance, désertant les rues normalement bondées. Magasins fermés, je terminai au final de ces deux jours de réjouissances avec l’équivalent de 2 € en poche pour avoir échangé le moins possible d’euros en pesos chiliens à l’aéroport (ma religion me permettant de me faire arnaquer qu’une seule fois dans les 48h) : ouf, vivement que l’activité commerciale reprenne…

Ici une ellipse : à part la découverte de certains quartiers, de chaussettes 610 fois plus lourdes après conversion des euros et l’achat de ma carte SIM chilienne qui me permet de m’intégrer un peu plus à la vie locale, rien ne m’est arrivé. Je vous écris dans un bouiboui typique en face dans la Biblioteca Nacional, guettant le bâtiment gris et sale comme un cowboy qui va réaliser un casse dans la banque de la ville du western dans lequel il joue, à boire une bière aussi insipide que les espagnoles et à regarder d’un œil les informations internationales qui montrent ces pauvres types fiers de brandir leur iPhone 5 comme s’ils venaient de sauver la galaxie. Garder en soi un peu de misanthropie est toujours un indice de santé mentale… Je vais donc découvrir mon prochain lieu de travail, avant de rencontrer ma future colocataire qui m’a arrangé un truc à la dernière minute me permettant d’avoir une visibilité de deux mois et dix jours pour mon logement : le luxe ! Je vous enverrai ce message ce soir d’un hôtel improbable qui tient plus du squat à la propreté douteuse qu’à l’hôtellerie, tenu par des sympathiques fanatiques de la Patagonie dans les beaux quartiers de Santiago. Beaux quartiers où par une espèce de conscience sociologique innée qui m’étonne, les chiens errants – aussi omniprésents dans l’hyper-centre-ville que les vaches en Inde et qui me donnent envie de lire La Ciudad y los perros de Vargas Llosa – ne s’aventurent que très peu.Beaux quartiers où les numéros des maisons sont aussi attribués de manière bizarres au gré des constructions, d’où une petite péripétie, ce matin, qui m’a fait ressentir une certaine solidarité avec ces pauvres et gros toutous sales qui dorment à vos pieds dans les rues, étant pour une heure un Diogène moderne, sans tonneau mais trainant sa vie à bout de bras fatigués… mais happy end : in waï-faï I trust et j’ai trouvé mon toit finalement !

Le prochain épisode devrait être dans deux mois, depuis l’Argentine. Je vous parlerai sans doute de tango et de labyrinthes borgésiens, de cascades magnifiques à la frontière brésilienne, de mon mariage avec J* que j’ai retrouvé sur Facebook (je suis un homme oui ou non ?), de l’eau froide de l’océan sur les plages de Valparaíso, de ma colocation avec Pamela, de son travail pour le cinéma et la télévision, de son monde d’artistes alternatifs qui me donnera sans doute une galerie de portraits géniaux à croquer, de Santiago, du regard des petites chiliennes déjà noir quand elles rient et qui doit être mortel lorsqu’elles vous engueulent [ Note pour moi-même : à tenter], tout en ayant une voix beaucoup plus douce que les andalouses et leurs vociférations de vieilles fumeuses agonisantes perchées sur leur mètre cinquante avec talons. De Feist, de Don Giovanni (« Ma in Cile son già mille e tre »), des grèves étudiantes, de catch-football sud-américain, de comment je me suis fait passer pour un communiste français sur la place du Roto Chileno (le pauvre chilien), de la Biblioteca Nacional, du vin rouge que je n’ai pas encore gouté, des librairies qui vont me ruiner, du Museo de la memoria et des divisions latentes du pays, et d’autres choses encore que j’ignore.

Sinon, après avoir caillé pendant quelques jours, le printemps pointe le bout de son nez, ici, et l’été se profile avec la même assurance que je peux voir la Cordillère qui m’appelle à elle et qui berce la ville de ses neiges éternelles. N’hésitez pas à me raconter comment vous vous gelez en France, ça me fera plaisir !

JoeyStarr – J’arrive

Note

  1. « Mais à quoi bon habiller mes jours si le bonheur m’entoure et réchauffe mon cœur ? » – CC : BY – NC – ND. ↩︎

Photo d’entête : “Santiago de Chile 81” par kanbron.