J’ai abandonné la lecture de ce roman après 198 pages (ou 5 chapitres)1 d’avoir trouvé cela extrêmement peu inventif. L’attrait du scénario est de nous plonger dans un monde souterrain, le métro de Moscou, profitant du fait que ces constructions citadines, des labyrinthes modernes et utiles, sont en elles-mêmes des merveilles architecturales propices à mille histoires de science-fiction ou de simple fiction. L’ambiance y est donc étrange, apocalyptique et cela peut faire illusion quelque temps.
Or, on s’aperçoit vite que ce n’est rien d’autre qu’une version mise en bière de Stalker d’Andreï Tarkovski : comme dans le film sorti l’année de naissance du copieur, 1979, l’humanité a dû fuir une zone contaminée. Sauf que si dans le film de son ainé c’est une zone précise touchée par un mal inconnu épargnant le reste du pays, ici c’est Moscou entière (pour le moins) qui a dû se cacher dans les bas-fonds de la capitale russe. Le héros doit donc avancer dans un monde dangereux, illogique et instable et garder la foi en sa mission.
C’est même une copie un peu assumée puisque Glukhovsky évoque dans son roman, lui aussi, des Stalkers qui remontent à la surface chercher des objets nécessaires à la survie des colonies souterraines (techniquement complètement impossibles même avec apport de matériel venu d’en-haut).
Tout le reste est d’un classicisme adolescent2 : un jeune homme orphelin et sauvé par un père adoptif mystérieux et aventurier, se voit contraint au bout d’une conversation de dix minutes avec un étranger encore plus mystérieux, de parcourir le métro moscovite de stations en stations, comme dans un jeu vidéo3, jusqu’au cœur de cet ersatz de civilisation survivant. Le vingtenaire a pu donc peupler son réseau souterrain de tribus politiques empruntées au XXe siècle (des Communistes et des Nazis, comme c’est bateau) ou de monstres diverses et variés mais sans originalité pour créer un univers foisonnant et mouvant. Or, là où dans Stalker il y avait un sens philosophique et théologique (le délitement des lois de la nature obligeant les guides a avoir la foi pour croire au miracle de la chambre des souhaits), voire puissamment chrétien4, Metro 2033 relève simplement du fourrage de tube obscure à la grosse saucisse et au fromage bien gras, pour produire du sandwich culturel passe-temps.
Ça peut marcher : on s’est tous retrouvés à regarder jusqu’au bout un téléfilm de Noël dont on sait déjà la fin au bout de trente secondes ou un fifilm d’action, le cerveau stimulé par le nouvel élément qui arrive toutes les minutes et neuf secondes, mais ça n’a aucun intérêt. Je me suis déjà farçi un roman et demi du gros gosse Damasio se croyant inventeur de quoi que ce soit avec ses univers foutraques faits de collages grossiers et incapable d’en faire des synthèses novatrices5, ou encore les longueurs inutiles de Murakami, je n’allais pas continuer à lire cette copie de la copie de la copie sortie du cerveau paresseux d’une génération totalement en panne d’idées flattant un public tout aussi peu cultivé que lui.
J’avoue que j’avais acheté ce livre d’occasion parce qu’il a été écrit par un Russe, en 2024, à une époque où lire de la littérature russe pouvait commencer à constituer un acte de résistance ou de rébellion (mais pas encore un acte exotique exhumant le passé d’un temps où la Russie faisait encore partie des pays dont on pouvait lire les productions). Mais cela ne fait pas tout et si le génie n’a pas de nationalité, la nullité non plus.
Cette lecture avortée de Metro 2033, le temps d’une longue nuit d’insomnie passée sous une caravane criblée inlassablement par la pluie, ne fut que le fruit de la paresse. Plutôt que de lire en anglais Far Journeys de Robert A. Monroe, je me laissai aller à la facilité d’une lecture en français. Or, l’essai de Monroe – datant de 1992 –, est bien plus troublant, surprenant, inattendu, que le remplissage enfantin d’un auteur biberonné au cinéma d’action. J’y suis retourné le lendemain avec plus de curiosité, plus d’angoisse, plus de questions que durant les 200 pages passées sous un métro improbable.
Notes
- En vrai à cause d’une deuxième nuit d’insomnie paresseuse, j’ai lu jusqu’à la p. 235, au final… puis je suis allé jusqu’à la p. 288 et donc le chapitre 8. Mais j’ai vraiment arrêté là, ça n’avait pas d’intérêt. ↩︎
- Le traitement caricatural des personnages, leurs attitudes hollywoodiennes c’est-à-dire prévisibles et d’une pauvreté psychologique profonde, la nullité des dialogues guère plus intéressants qu’une transition dans un jeu vidéo entre deux épreuves, m’a évoqué Antoine Bello et ses Falsificateurs. On dirait à les lire que ces écrivains avaient 15 ans au moment d’écrire, c’est assez affligeant. ↩︎
- Le livre a été adapté en jeu vidéo, et en soi il n’y a rien que de plus normal puisque ce n’est d’autre qu’un scénario de jeu vidéo… ↩︎
- Et n’était-ce pas un miracle dans l’URSS de 1979 de pouvoir faire un film crypto-chrétien d’une beauté évangélique ? ↩︎
- Jojo a acheté des livres de philosophie d’occasion au coin de sa rue et se croit philosophe, détenteur d’un savoir perdu après avoir mal compris un peu de Foucault et de Nietzsche… ↩︎
Photo d’entête : “img892” par daves_archive _inactive at current time

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