Antoni Astugalpi

Médiateur de mots, sapeur du son, suceur de sens et dresseur d'idées (en gros)

Les Falsificateurs [2007] par Antoine Bello

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Enfant, j’étais lecteur du bimestriel Mickey Parade, dans lequel il y avait les histoires de la version noctambule de Donald, ce personnage appelé Fantomiald, qui était comme le chaînon manquant entre l’univers juvénile de Disney et celui, adolescent, de Marvel. Se parant de son costume de super-héros, le canard ainsi laqué partait pour des aventures plus croustillantes que celles de Donald. Avant de jeter mon dévolue sur les séries de bande-dessinées étasuniennes, et notamment celles des mutants X-Men, je dois à Fantomiald (couplé à l’univers des Guerres de l’Etoile ou des premiers Rambo) l’inspiration de mes premiers écrits au stylo bic sur cahier d’écolier quadrillé. Je garde donc un souvenir ému de ces séries que je ne me permettrais pas de critiquer à l’âge adulte.

Néanmoins j’ai mûri (un peu) et vieilli (aussi) et suis passé plus largement aux romans puis aux essais ou récits biographiques, la réalité étant souvent plus incroyable que les fictions sorties des méninges d’auteurs, eux-même jamais à la hauteur de notre bon cher vieux monde plein d’intrigues enchevêtrées, de complots tordus, billards à trois bandes et falsifications ingénieuses.

Or avec ce long roman d’Antoine Bello, m’a surtout effaré par son caractère juvénile. Sliv, grand dadais idéaliste, Islandais et progressiste jusqu’à la vacuité paradigmatique, se fait enrôler dans une société secrète, le Consortium de Falsification du Réel1, regroupant des espèces d’adulescents occupés à inventer des bouts de réalité. A coup de milliards de dollars à leur disposition, des experts dévoués, une organisation puissante, complexe et riche2 à leur service, ils doivent ensuite faire en sorte que ces injections de fausseté deviennent réels par un jeu de réécriture du passé dont Orwell pourrait réclamer la paternité.

Sauf que chez Orwell, tout cela a un sens politique, calqué sur l’expérience communiste, d’ailleurs, alors que tout semble tourner à vide sans aucune raison. Certes, on se dira que derrière les petites intrigues secondaires, ce serait la grande inconnue du roman, le fil rouge qui tient en haleine le lecteur désirant de comprendre les coulisses de cette machinerie étrange et efficace. Parfois certaines hypothèses évoquées, mais le personnage devenu une sorte de soldat zélé d’une classe crypto-despotique éclairée progressiste, et l’écriture plate et ennuyeuse, laissent patauger tout cela dans la plus collante mièvrerie. Les dialogues sont creux, attendus, télésériesque et sans risque, sérieux jusqu’au ridicule ou dont les blagounettes ne dépassent pas le niveau d’un écolier de primaire. Mais si les séries hollywoodiennes ont des trompettes a déclenché quand on se met à bailler, là on s’ennuie durablement.

tout comme le prisonnier de la série de science-fiction dystopique de 1967, Le prisonnier, cherchait à savoir qui est l’agent 001.

L’auteur amène avec une lourdeur de puceau scénaristique, une classique relation ambivalente d’amour/répulsion, concurrence/collaboration, avec une Danoise, Lena Thorsten, qui précède partout le héros et qui joue le rôle du concurrent Gontran (et Daisy à la fois) dans l’univers des oiseaux aquatiques humanisés de Disney) ; mais dans l’univers la pralinette de Bello, cet agent méthodique et froid tellement cliché et adolescent3 ne donne aucun relief à cette bouillie fade un rien érudite4. A se demander, même, si Antoine Bello n’est pas le pseudonyme d’un auteur fictif cachant une intelligence artificielle, ces reines de la compilation sans talent, censé pondre une histoire vaguement policière ou d’espionnage, synthèse d’une base de données de clichés du genre ; il est en tout cas difficile de croire qu’un adulte a véritablement pondu cela. Et plus encore, que des éditeurs aient accepté de le publier – ou alors les lecteurs sont-ils devenus tellement imbéciles qu’on peut leur vendre cette mousse de canard comme du foie gras.

J’en ai pourtant lu, un peu, de la littérature pour la jeunesse, du temps que je sortais avec un professeure-documentaliste qui en maîtrisait le catalogue, et j’avoue avoir pleurer à la lecture du récit étrange des Larmes de l’assassin [2003] d’Anne-Laure Bondoux. C’était tout de même d’un meilleur niveau !

Au final, je dirais que la plus grosse intrigue du roman consiste en sa publication : comment une telle arnaque a-t-elle pu se faire passer pour un roman pour adultes ?

Et si on compare avec l’ensemble des faits historiques probablement falsifiés ou événements troubles de l’Histoire, sans parler des faits plus récents qui font encore polémiques et qui peuvent vous valoir encore des histoires auprès des universitaires ou de la justice5, la nullité du truc en 588 pages et encore étendu avec deux suites, Les éclaireurs [2009] et Les producteurs [2015]6… m’en a bouché un coincoin !

Notes

  1. CFR comme le Council on Foreign Relations, comme c’est bien pensé… ↩︎
  2. Et jamais découverte par les multiples agences secrètes étatiques (ben voyons !) ↩︎
  3. Par exemple, les scènes de chamailleries à l’Académie des super-héros discrets qui ont un goût de séries à voir sur Gulli. ↩︎
  4. Et encore, qui a lu les nouvelles de J.L. Borges ne peut qu’être pris de vertige devant le gouffre séparant les nouvelles philosophiques de l’Argentin d’Adrogué et le roman du grand gamin Bello. ↩︎
  5. On imagine bien Bello, s’il existe, mort de trouille à l’idée d’en évoquer même un seul dans sa littérature Disney avec du vocabulaire et des expressions d’adultes. A l’heure où Colin Powell est mort, on imagine avec plaisir un faux troisième tome des aventures de Sliv, situé après 2003, où le stupide falsificateur se demanderait si la fiole de substances chimiques hautement dangereuse brandie sans gants en plein cœur d’une assemblée de l’ONU (qu’elle tombe ils meurent tous…), n’est pas un mensonge stratosphérique presque aussi bon que les attentats du 11 septembre 2001 et son incroyable série d’incohérences et d’impossibilités… Et la tête de l’auteur découvrant ce roman signé de son nom, ses dénégations pleurnichardes, les certificats de bienpensance sortis face à l’opinion publique… bref, on aurait des millions et du temps à perdre, ce serait drôle ! ↩︎
  6. Ah les trilogies, ça fait bien ! ↩︎

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