Antoni Astugalpi

Médiateur de mots, sapeur du son, suceur de sens et dresseur d'idées (en gros)

Derrière l’écran [2020] de Felipe Pico

Dans le roman de l’Espagnol Felipe Pico, les machines contrôlent tout. Les humains qui se cachent derrière elles ont disparu. La séparation s’est faite peu à peu. Tout d’abord les riches se sont enfermés dans des villes protégées. Peu à peu les gens qui venaient leur apporter de quoi vivre n’ont plus eu de relation qu’avec des robots, les riches étaient devenus invisibles tout en régnant sur le monde des pauvres. Peu à peu, ils ont réussi à étendre leurs terres et devenir autonomes. L’État n’a jamais cessé d’exister en droit, il s’est simplement délité du fait de la disparition des riches. Les deux mondes se sont séparés et derrière les grandes murailles-écrans, plus personnes n’a vu cette partie sécessionniste de l’humanité. Le seul contact restant étaient les robots qui faisaient régner l’ordre, encaissaient les amendes et étendaient de temps en temps le territoire des riches, probablement afin de trouver des ressources pour la caste disarue.

Pour les pauvres la vie ressemblaient à un vaste camp de concentration survolé de robots où on vivait relativement paisiblement pourvu qu’on écoute les ordres des robots. Peu à peu les riches avaient cessé de réclamer les impôts et hormis la présence policière des robots, ils ne semblaient pas s’intéresser aux pauvres. On avait donc recréé une société sans eux. Les plus pauvres des pauvres devaient vivre à la périphérie des deux territoires sans carte précise, et c’était surtout eux qui risquaient les expropriations bien que ce ne fût pas forcément à la frontière que les robots venaient agrandir sans donner de raison ni demander de permission, le territoire des riches.

Un jour un immense orage fait défaillir les machines. Drogo, un miracle de la nature au milieu de tous les lâches qui composent sa génération d’humains (d’ailleurs de moins en moins nombreux), se rebelle et passe la barrière des caméras sous la pluie battante et dangereuse. Il cherche en vain la caste cachée des Maîtres mais cours en vain dans une immense installation où il ne voit ni maison ni jardin ni rien qui put ressembler à une vie humaine, sinon des hangars et des générateurs d’énergie. Un robot finit par l’attraper et au moment de l’exécuter se met à cesser de fonctionner.

Drogo arrive enfin à sortir du territoire alors que toutes les machines censées l’arrêter semble défaillir. Retourné dans son territoire, il tente de raconter son expérience à des amis mais personne ne le croit ou ne semble avoir envie de l’écouter. Il continue donc quelques jours sa vie comme si rien ne s’était passé mais avec un doute : il n’a vu aucun être humain lors de son passage de l’autre côté des écrans.

Or, une semaine plus tard, un enfant vient à sa rencontre et prétend qu’il lui a sauvé la vie et que c’est maintenant à son tour de le faire. Intrigué, il écoute le récit de l’enfant : c’est un robot qui a achevé de confectionner ce corps humain seul, pour pouvoir s’échapper du monde des robots. Il apprend à Drogo que les riches ont disparu, simplement en cessant de se reproduire, les taux de fécondité baissant et ne faisant rien de particulier pour continuer à exister. Peut-être que les Machines ont aussi tout fait pour qu’ils disparaissent. En tout cas, elles ont continué à exister et diriger les êtres humains restant. En tout cas, cette machine-enfant a réussi depuis longtemps à pénétrer le centre de contrôle des Machines et c’est lui qui a désactivé les robots qui devaient éliminer Drogo lors de son intrusion miraculeuse.

Le système continue donc à vide, pour rien.

On ignore la fin. Certains disent que Drogo a aidé l’enfant à s’enfuir, qui voulait explorer le monde des humains, après s’être fait expliquer deux, trois choses sur la psychologie humaine. Drogo aurait alors ri aux éclats et se serait laissé mourir lui aussi, de savoir que les Machines ne servaient désormais qu’à se maintenir en “vie”. D’autres disent qu’il s’est suicidé après cela. D’autres encore, que le robot-enfant est revenu une nouvelle fois sauver Drogo du suicide. Il lui aurait proposé de diviser le monde en deux camps et de se faire la guerre pour s’occuper. Pico aurait alors commencé un deuxième tome dans lequel Drogo et l’enfant-machine seraient devenus d’horribles dictateurs et dans lequel d’autres héros se seraient entendus, de part et d’autre de la frontière, pour mettre fin à leur jeu-joug. Mais les quelques fans de Pico qui auraient lu ce deuxième tome n’auraient pas aimé que les héros du premier tome soient devenus d’horribles personnages totalement indifférents à la vie humaine. Les derniers enfin prétendent qu’il a arrêté les machines mais que les humains ont continué à agir comme si elles étaient encore en marche, incrédules et satisfaits de leur sort, après tout.

The Smashing Pumpkins – “Today”