
Que la marche est bonne pour la santé, voilà une des plus grandes leçons marginales (pour ne pas dire complètement périphériques, inutiles, stupides, anecdotiques, faites de misérables détails qui occultent l’essentiel) que les Métaphysiques d’Aristote m’ont laissées. Et puis cette phrase de Nietzsche : « seules les pensées que l’on a en marchant valent quelque chose » . Sous fait d’autorité, j’étais alors en droit de théoriser ma propre stérilité philosophique : mes meilleures idées, mes traits de génie, mes formules réclamées par la postérité, mes audacieuses intuitions prophétiques, n’auraient plus à rougir de n’avoir eu comme auditeurs que les seuls murs, fenêtres, nuages, ou encore quelques passants intempestifs qui n’auraient jamais plus qu’un fragment à leur connaissance et dont la communauté ignorée serait impossible à réunir. Plus loin que Socrate et Jésus, qui tous d’eux tâchaient de convertir de proche en proche et ce sans étendre leur enseignement par la sauvegarde d’un écrit, plus heureux que d’autres, plus concis, inattaquable dans ses oublis ou les failles discrètes de son système, je ramassai ma philosophie à cet aphorisme :
« Fais de ta pensée une rosée offerte en sacrifice à l’appétit du vent »
et j’indiquais en marge à l’intention des critiques, que l’on pourrait qualifier ma pensée de « philosophie de l’évanescence », ou comment un petit voile invisible purifie le monde en acceptant d’être léchée puis enlevée par la langue des courants d’air.
J’ai laissé comme ça s’envoler dans l’air des milliers de traités, des mondes, des histoires et des rêves, une vie peut-être, gagner leur indépendance dans des sphères où je ne peux les suivre. Comme des parfums inodores qu’on ne partagerait avec personne, qui se déversent dans le flacon des possibles délaissés. J’en ai rempli des mers entières, j’aimerais que le jour de ma mort il me soit permis de m’y baigner dedans.
